Quelle Europe voulons-nous ?

Les Européens devraient montrer qu'ils sont prêts à assumer des responsabilités dans un monde à la complexité croissante
La Constitution et le défi de la mondialisation

PAR WOLFGANG SCHÄUBLE *
[14 mai 2005]

Sans la France, il ne peut pas y avoir d'Europe vigoureuse – et sans une Europe forte une France forte ne peut pas davantage exister ! C'est le critère central à l'aune de laquelle chaque Français devrait se prononcer en faveur ou en défaveur de la Constitution européenne.

Si, ces jours-ci, de nombreux Européens prennent la parole dans le cadre du référendum, ce n'est pas avec l'intention de s'ingérer subrepticement, mais de montrer ce en quoi consiste réellement l'intégration européenne. Soit nous rassemblons nos forces et nous tablons sur la capacité de notre communauté à gagner en importance et à modeler son avenir, soit nous allons de l'avant en restant chacun sur son quant-à-soi, dans le cadre d'alliances ou d'axes stables, moins denses et plus modestes, et nous devons bien avoir à l'esprit que nous perdrons tous collectivement en importance.

Ne nous berçons pas d'illusions : la réussite ou l'échec du traité constitutionnel ne va certes pas trancher immédiatement entre ces deux orientations, mais esquisser une tendance.

Le débat nourri qui a cours en France est l'occasion de clarifier et de hiérarchiser les arguments en présence. Ce qui frappe, en l'occurrence, c'est que la plupart des voix eurocritiques se réfèrent largement à des problèmes qui n'ont qu'un rapport indirect avec le sujet. Il semble bien plutôt que la solution de facilité consiste à faire de l'Europe un bouc émissaire auquel on impute les ratés et les échecs qui ressortissent bien davantage des insuffisances des politiques nationales.

Cela vaut pour toutes les questions qui sont liées à l'élargissement de l'UE, alors que des problèmes d'emploi récurrents dans de nombreux pays européens tiennent aux évolutions de la concurrence dans un monde globalisé où d'autres régions de la planète émergent et nous surclassent. Raison pour laquelle ni l'Europe ni l'intégration des nouveaux membres ne sont la cause de pareilles difficultés...

Une des meilleures réponses à ces problèmes serait justement de convertir ces défis inédits en une occasion de réfléchir à nouveaux frais à notre flexibilité, à notre créativité et à notre faculté d'adaptation.

Nous, Européens, devrions administrer la preuve que nous ne sommes pas fatigués, que nous avons encore le pouvoir de relancer une dynamique économique en des périodes troublées et que nous sommes également prêts à assumer des responsabilités dans un monde à la complexité croissante. Reconnaître et saisir la chance que représente la mondialisation signifie être prêts à comprendre que seule l'union nous permettra de maîtriser les risques internationaux pesant sur notre sécurité. Aucun pays européen ne pourra défendre et imposer ses intérêts aussi aisément que dans le cadre d'un partenariat étayé sur une relation de confiance durable.

Les deux éléments – une dynamique accrue en interne et une cohésion renforcée en direction de l'extérieur – déterminent la réussite de l'intégration européenne, inséparable du dépassement de la division de notre continent. C'est précisément dans ce domaine que le traité constitutionnel constitue une avancée considérable. Lorsque nous aurons accompli ces avancées, nos amis, sur l'autre rive de l'Atlantique, à qui nous sommes liés parce que nous représentons chacun une partie de l'Occident et partageons des enjeux de sécurité, commenceront à nous tenir pour des partenaires dignes de foi. Les Américains ont bien compris que l'Europe se situe à un tournant de son histoire : soit nous faisons de l'élargissement le prélude à une modernisation, au développement d'un dynamisme économique et à un accroissement de nos responsabilités sur la scène internationale ; soit nous cédons à la stagnation et nous abandonnons à la sclérose – dans les domaines du social, de l'emploi, de la démographie, sans parler de notre «introversion» en matière internationale...

Sans aucun doute, le traité constitutionnel est un compromis européen. En envisageant leurs seules perspectives nationales, certains auraient bien sûr pu espérer obtenir ceci ou cela. Chacun admettra toutefois qu'un volet progresse de manière incontestable : c'est celui des acquis communs. L'Union élargie pourra travailler de manière plus efficiente, prendre un plus grand nombre de décisions. Davantage tournée vers l'action, elle possédera un plus haut degré de transparence. Le traité constitutionnel est une fondation qui ouvre à l'UE des horizons plus prometteurs que les structures et règlements actuellement en vigueur, conçus pour un stade révolu de son histoire.

L'intégration demeure la condition nécessaire pour garantir sécurité et bien-être à tous dans tous les pays. Si la scène politique ne perd pas de vue cet impératif, nous gagnerons alors un vaste soutien populaire aux thèmes européens. Cela implique une mise en garde contre toute extension de l'Union européenne au-delà des frontières dans lesquelles les citoyens sont capables de se reconnaître comme partie intégrante de l'héritage européen. De même qu'unité et diversité doivent s'équilibrer l'une l'autre, il faut éviter de jouer l'un contre l'autre les processus d'élargissement et celui d'approfondissement qui ne doivent pas être opposés l'un à l'autre. Dans cette optique aussi, le traité constitutionnel est porteur d'espoir : lorsque les Européens manifestent leur volonté d'une Europe plus forte, c'est au détriment de la tentation de l'illimitation et au bénéfice de ceux qui expriment des inquiétudes légitimes quant à notre relation future avec la Turquie.

Le traité constitutionnel devrait donc nous permettre de faire un pas important dans la bonne direction, vers une Europe plus forte, grâce à laquelle les Français, les Allemands et les autres peuples pourront relever aisément les défis qui pèsent sur leur avenir commun.

* Vice-président du groupe parlementaire CDU-CSU au Bundestag allemand. (Traduit de l'allemand par Alexis Lacroix).